les écrivains filment #1
Autofictions: pour un cinéma minoritaire 

Jeudi 21 octobre 2010
20h30 – Cinéma Lux, Caen

Hervé Guibert / David Wojnarowicz / Jean Genêt


En présence
d’Agnès Vannouvong (auteure de Jean Genêt ou les revers du genre et L’image androgyne chez Hervé Guibert) et Albert Dichy (directeur littéraire à l’IMEC)

« Dans les minorités, l’affaire privée est directement politique » Gilles Deleuze

Des écrivains et poètes tels Hervé Guibert, David Wojnarowicz ou Jean Genêt ont utilisé le cinéma comme prolongement et accomplissement d’une entreprise autofictionnelle et d’une politique de soi, amorcées dans le champ de la littérature.

herve-guibert.jpgLa pudeur ou l’impudeur, réalisée en 1991, lors des deux dernières années de vie de l’écrivain Hervé Guibert, constitue un journal vidéo de sa maladie, du sida.  Dans ce film sidérant, Guibert fait entrer dans le champ de la représentation son expérience de la maladie et déplace la découpe politique entre pudeur et impudeur, les normes du dicible, une distribution du nommable, du regardable, des normes de la vérité. Bien que ne se revendiquant pas directement d’une démarche politique, le cinéma de Guibert aura rendu possible la figuration de corps malades, qui étaient jusque-là, et notamment dans leur quotidienneté, exilés en-deçà du champ du visible, participant de ce que Michel Foucault a appelé « l’insurrection des savoirs assujettis ». Le malade lui-même, jusque là objet du savoir médical, devenait sujet, produisant un discours et des images qui retournent le point d’énonciation et renversent les dispositifs de la représentation. En se mettant lui-même en scène, en abolissant l’opposition classique filmeur / filmé, auteur / sujet, et en se déplaçant sur le terrain de l’autofiction, le cinéma de Guibert, reconfigure le cadre éthique de la représentation. La pudeur ou l’impudeur constitue alors un seuil dans l’histoire du cinéma documentaire, Guibert échappant ainsi par l’auto-narration au dispositif injonctif du témoignage, dont il n’aurait probablement pas pu s’extraire dans le cadre du dispositif documentaire classique.

david-wojnarowicz-peter-hujar.jpg« Lorsqu’on m’a appris que j’avais contracté ce virus, j’ai tout de suite compris que c’était surtout le virus de cette société malade que j’avais contracté »  (David Wojnarowicz)
Exhortation à l’action, dissection des mécanismes de pouvoir, affirmation fière, la puissance des images de David Wojnarowicz, écrivain, vidéaste, photographe, plasticien, performeur néo-beat de l’East Village new-yorkais, tient au chiasme singulier qu’il noua entre expérience subjective et collective, faisant de son expérience du sida un prisme d’analyse politique d’une société entière. C’est ainsi  la machine capitaliste, impérialiste, homophobe et puritaine de l’Amérique de la fin des années 1980, «  la nation monoclanique » comme Wojnarowicz la nommait, qui se trouve diffractée par une vision exacerbée par la drogue ou la brûlure orgastique.  « Je brise les chaînes mentales/physiques qui m’asservissent au code linguistique. » écrivait-il. La prose furieuse et flamboyante de ses spoken words et de ses chroniques filmées œuvrant à déplacer et réinventer le dicible, contribuèrent à une reconfiguration des discours et images efficients sur le sida dans l’espace social.

jean-genet-un-chant-damour-dr.jpg« Le cinéma est en effet essentiellement impudique. Puisqu’il a cette faculté de grossir les gestes, servons-nous d’elle. La caméra peut ouvrir une braguette et en fouiller les secrets. Si je le juge nécessaire, je ne m’en priverai pas. » (Jean Genêt)
Un chant d’amour, film poème longtemps clandestin, constitue l’unique trace filmée des amours tumultueuses de Jean Genêt avec le cinéma.  Scénariste de nombreux films invisibles, jamais réalisés,  Jean Genêt a écrit plus de pages de scénarios que de toute autre littérature. Il livre avec Un chant d’amour un chef-d’œuvre de la solitude inextinguible et de l’exaspération du désir, œuvre onirique, où l’expérience cinématographique se fait le lieu d’une confrontation entre images mentales, fantasmes et corps désirant.

Films projetés
: La pudeur ou l’impudeur de Hervé Guibert (1992, 58 min) l Last Night I Took a Man de David Wojnarowicz (1989, 3 min) l Un chant d’amour de Jean Genet (1950,  25min)

Textes et programmation: Kantuta Quiros & Aliocha Imhoff

Cette soirée se réalise en partenariat avec Documentaire sur Grand Ecran.