Mercredi 27 novembre 2013

Persistances

Centre Pompidou
19h – Cinéma 2

En présence de Christine Meisner, et Françoise Vergès, politologue

« En tant qu’époque, la postcolonie renferme, à la vérité, des durées multiples constituées de discontinuités, de renversements, d’inerties, d’oscillations qui se superposent, s’enveloppent et s’enchevêtrent les unes les autres. » Achille Mbembé, De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine. (2000)
La postcolonie est définie par la politologue Françoise Vergès comme “une situation où perdurent les effets du régime colonial, tout en connaissant de nouvelles expériences.”. Persistant à déployer leurs présences fantômatiques, les spectres du colonialisme font régulièrement retour dans les pratiques artistiques contemporaines, ainsi que le montrait le critique T.J. Demos, dans un livre récent, Return to the Postcolony. Specters of Colonialism in Contemporary Art (2013). Cette séance présente plusieurs films marqués par de tels effets de rémanences.

Santu Mofokeng, The Black Photo Album/Look At Me: 1890-1950, diaporama

Le diaporama The Black Photo Album/Look At Me: 1890-1950 est une série de photographies du 19ème siècle, portraits coloniaux de familles noires sud-africaines, retravaillées numériquement; photos de famille trouvées ou achetées dans des collections privées et photographiées par Mofokeng. « Ce sont des photographies que les Noirs des classes ouvrières urbaines et les familles des classes moyennes avaient commandées, demandées ou tacitement autorisées. Ces images, héritées de parents décédés, étaient parfois accrochées aux murs des salons obscurs dans les townships. Dans certaines familles, elles étaient traitées comme des trésors, prenant dans le champ du récit sur l’identité, le lignage et la personnalité, la place qu’occupaient autrefois les totems. […] Lorsque nous regardons ces portraits, nous savons qu’ils nous disent quelque chose de la manière dont ces gens se percevaient. Ils nous imposent de les regarder à travers leurs yeux, car ils se les sont appropriés. » Santu Mofokeng a commencé sa carrière comme photographe de rue à Soweto et dans les années 80, a travaillé sur la couverture documentaire de la lutte anti-apartheid. A la fin de la décennie, Mofokeng a décidé de quitter le terrain du photojournalisme et de s’engager dans la représentation de la vie quotidienne et la vie dans le township sud-africain. Mofokeng détourne constamment les zones de confort de la mémoire raciale et culturelle, et le regard objectivant du photographe.

 

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Santu Mofokeng, The Black Photo Album/Look At Me 1890-1950, diaporama, Courtesy the artist and Maker Studio
 

Mathieu K. Abonnenc An Italian Film (Africa Addio) (2012, 26 min)

Mathieu K. Abonnenc s’attache à interroger les formes d’hégémonie culturelle sur lesquelles se sont appuyées nos sociétés contemporaines. Qu’il s’agisse de vidéos, de photographies, d’installations, de dessins ou de projets d’exposition, Mathieu K. Abonnenc explore les représentations dominantes en s’appropriant des éléments et des événements liés aux histoires impériales et coloniales des pays dits développés ou encore aux luttes anti-coloniales. Autant d’objets passés sous silence ou mis à l’écart de la connaissance collective. Chacun de ces éléments est constamment renégocié afin d’en dégager des problématiques contemporaines et de réinventer la dimension politique de l’art.  Avec son installation, An Italian Film Africa Addio, premier volet d’un long projet, il poursuit ses recherches en se concentrant sur un matériau : le cuivre, qui fut l’une des causes de la guerre de Sécession au Katanga, et, auparavant, la raison de l’intérêt des Occidentaux pour la R.D.C. À travers l’histoire d’un minerai, l’artiste reconstitue un épisode de l’histoire du capitalisme et de ses mécanismes, montrant les effets de l’industrialisation par des nations européennes sur des pays et des populations colonisés. Né en 1977 en Guyane (France), vit et travaille à Paris (France). Expositions récentes : Triennale d’art contemporain / Intense proximité (2012), Foreword to Guns for Banta, Gasworks, London (2011), A Minor Sense of Didacticis Marcelle Alix, Paris (2011), Orphelins de Fanon, La Ferme du Buisson (2011), Manifesta 8, Murcia (2010), Bielefelder Kunstverein (2013), Kunsthalle Basel (2013).

 

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Mathieu K Abonnenc – An Italian Film (Africa Addio), video still, 2012, Courtesy the artist and Marcelle Alix Gallery
 
 

Christine Meisner – « Disquieting Nature » (2012, HD, b/w, 28 min)

« Disquieting Nature » est une exploration des liens entre musique, mémoire et paysage par l’artiste Christine Meisner et le compositeur William Tatge. Ils actualisent les traces et les résonances tissant les réalités du delta du Mississippi, le souvenir des origines d’un chant, le blues et la mémoire d’une exploitation des noirs par les blancs, un état ségrégationniste, le racisme. La juxtaposition des images cadrées fermement et finement bruissantes dans les détails jongle avec les césures musicales sans tomber «a tempo». Il y a là l’instabilité du ricochet, si l’on s’arrête, on sombre.Le blues, le chant d’un esclave, non limité à un folklore, se réactive sans figure dans le paysage.
Les premières chansons de blues du Delta racontent l’histoire d’ouvriers agricoles noirs et comment ils ont retrouvé leur liberté dans une société de plus en plus isolée et raciste. Les cadences rythmiques, les structures et les récits de ces premières chansons ont été le point de départ de la coopération de Christine Meisner avec William Tatge.

 

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Christine Meisner – « Disquieting Nature », video still, 2012, Courtesy the artist

Une programmation de Aliocha Imhoff & Kantuta Quiros